Interview
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Interview de Didier Deleskiewicz par Neo Kerberos, Mars 2007.
Neo Kerberos : Comment et quand a débuté votre carrière de réalisateur ?
Didier Deleskiewicz : Ma carrière de réalisateur débute en 1981 quand je signe mon premier contrat professionnel du genre.
En fait cette aventure a commencé 15 ans plus tôt, étant gosse j'étais passionné de photographie....
Plus tard, j'ai exercé mes "talents" au sein d'une association de culture populaire dans le Poitou où j'ai aussi réalisé quelques tournages en amateur, c'était alors du Super 8 ; puis sur les premiers magnétoscopes vidéo en Noir et Blanc ainsi que le 16mm couleur pour mon premier court métrage.
Parallèlement à mes études de sociologie, j'étais régisseur lumière sur des spectacles vivant et des concerts de toutes sortes y compris de musique classique.
En 1976, je suis entré, après avoir été reçu au concours de l'IDHEC, à l'école de cinéma nationale aujourd'hui remplacé par la FEMIS.
Là j'ai appris ce que c'est que faire un film.
Au sortir de cette école, j'ai tenté une carrière d'assistant, j'ai alors travaillé pour les télévisions mais j'ai rapidement écrit mes propres projets et ma carrière d'assistant n'a pas duré plus d'une année.
Je suis allé m'installer à Berlin Ouest car j'y avais des contacts liés entre autre en Pologne où j'avais organisé des échanges entre nos deux écoles de cinéma.
Là, j'ai tourné un premier film de 52 minutes pour Antenne 2 qui s'appelait "Rock à Berlin", une fiction documentaire autour d'un groupe de rock semi amateur, un portrait sur le mouvement "No future" dans ce lieu si spécial de l'époque.
Voilà comment ça a commencé... N K : Comment avez-vous été amené à connaître X Japan ? D D : Le Japon, c'est en 1985 que j'y ai mis les pieds la première fois, une attirance de longue date. Et là, c'était la grande Expo de Tsukuba sur les nouvelles technologies. Le flash.... Une vraie révélation. |
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A mon retour, j'ai constaté que les médias en France végétaient, j'ai alors demandé une bourse d'études pour le Japon et sur mon dossier, j'ai obtenu la bourse Lavoisier et aussi une aide du Monbusho (Ministère Culture Japonais); j'y suis resté presque trois ans, de 86 à 88.
J'ai rencontré des gens dans le cinéma japonais et en particulier de jeunes réalisateurs comme Hayashi Kaizo qui avait réalisé un vidéoclip superbe pour Sennen Comets, un groupe sous contrat avec Sony Record à Tôkyô.
Le producteur, tout le monde l'appelait Harry, habitait tout près de chez moi dans le quartier de Kagurazaka. Nous sommes devenus amis et quand je suis rentré en France, nous avons gardé des contacts.
En 1989, c'est Harry qui m'a contacté pour que je m'occupe de Yoshiki, il traversait alors une période de spleen et n'était pas très en phase avec les autres membres de son groupe.
Il se trouve que justement j'avais un tournage en production avec M6 et je suis donc allé au Japon début 89 pour faire ce film documentaire sur le cinéma Japonais.
J'y ai rencontré Yoshiki dans le quartier de Shibuya pour la première fois, il semblait assez mal entouré, par des gens qui à priori ne s'intéressaient qu'à son argent.
Harry était alors sorti de l'affaire et je devais m'entendre avec le nouveau producteur de Yoshiki, un indépendant dont j'ai oublié le nom et qui étais fort désagréable.
Il me faisait davantage penser à un Yakuza qu'à un producteur coach d'artistes.
A vrai dire, j'ai le sentiment que ce groupe a été fabriqué par Sony plus que par eux-mêmes au départ, mais peut-être que je me trompe...
Je n'en ai pas discuté avec Harry, mais la prochaine fois que je le verrai je lui poserai la question.
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N K : Aviez-vous déjà collaboré pour X Japan avec Yoshiki avant le clip de "Rose of Pain", ou cette vidéo a été votre premier travail ensemble? D D : Non je n'avais jamais collaboré avec X Japan ni avec Yoshiki, c'était une première ! N K : L'idée de tourner l'action du clip en France a-t-elle émanée de Yoshiki ou de vous-même ? D D : L'idée de départ c'est qu'il souhaitait venir en France seul pour 15 jours afin de s'isoler pour travailler. C'est la raison pour laquelle il m'avait demandé de lui trouver de quoi loger car il ne voulait pas aller dans un lieu impersonnel comme un hôtel. |
Il souhaitait cependant qu'il y ait un piano dans ce lieu pour pouvoir travailler à ses compositions en cours.
J'ai donc cherché parmi mes amis qui pourraient prêter son appart.
Un ami producteur réalisateur et sa compagne chanteuse, m'ont proposé leur appartement car ils partaient quelques semaines à l'étranger, mais finalement Yoshiki a changé ses dates et j'ai dû lui en trouver un autre. 1
J'ai d'ailleurs dû louer un piano pour lui car l'endroit n'était pas équipé.
L'idée du clip est venue seulement quelques jours avant son arrivée en France, mais au départ il s'agissait seulement de filmer Yoshiki dans des lieux Parisiens, faire des stocks shots pour une promo future.
C'est seulement une fois à Paris qu'il m'a parlé de châteaux et de plans qui serviraient à un futur clip sur "Rose of Pain".
C'est là que les choses se sont compliquées car la chanson n'était pas encore écrite réellement, seulement des idées.
N K : Parlez nous du tournage en dehors de Paris, pourquoi avoir choisi le village de La Ferté Milon ?
D D : Pour les châteaux ce fût assez compliqué parce que nous n'avions pas beaucoup de temps et il fallait trouver quelque chose pas trop loin de Paris.
La Ferté Milon est un assez beau village facile d'accès et je voulais des décors très "exotiques", pour les japonais bien sûr.
N K : Combien de temps a duré le séjour de Yoshiki et combien de temps a duré le tournage à proprement parler ?
D D : Il est resté deux semaines à Paris, je souhaitais lui faire connaître un Paris loin de ce que les touristes japonais connaissent.
Nous étions presque à Belleville et il appréciait le quartier populaire.
Son restau préféré était "Chez Marianne", qui donne dans la rue des Rosiers.
Le tournage en lui-même a duré deux ou trois jours en tout.
N K : Yoshiki est réputé être très perfectionniste et pointilleux, comment était-il lors du tournage ?
D D : Il était tout à fait agréable mais en fait il semblait ne pas savoir ce qu'il voulait.
Il était déstabilisé par ce monde, loin de sa culture ; en même temps, cela ne semblait pas l'affecter car il était très gentil avec tout le monde.
A part le matin où il n'arrivait pas toujours à s'arracher, il prenait aussi un certain temps à se coiffer, mais à part cela tout allait bien.
Il me faisait confiance et n'a pas été très exigeant, c'était plutôt l'inverse.
Je suis assez perfectionniste et j'étais très frustré car je savais que je ne ferais pas le montage de ce film, uniquement les images en France.
C’était donc tourné à l'aveugle, et comme Yoshiki restait assez flou, c'est le moins que l'on puisse dire, sur le contenu de la chanson et le sens de ses paroles, j'ai eu des difficultés à prévoir un découpage et un plan de travail…
Et aucun story board bien sûr. |
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Même s'il ne l'est pas, Yoshiki pratiquait souvent l'autisme.
De ce fait, il a toujours cultivé l’ambiguïté, sa personnalité est assez singulière puisqu'il s'est attribué un look très androgyne.
Pour le reste c'est pareil, on ne peut donc pas s'attendre à ce que les textes de ses chansons soient très clairs ou du moins expriment une vision cartésienne du monde.
Il en est tout à fait incapable…
Donc, comme je vous l'ai dit, quand nous avons travaillé sur ce vidéo clip, le texte de la chanson "Rose of Pain" n'était pas achevé, il m'exprimait alors des idées très vaporeuses.
En même temps, je pense qu'en vérité (maintenant que je connais la chanson), il n'était pas capable d'assumer ce qu'il voulait dire.
Expression d'impuissance sans doute (c'est ce que j'imagine), de fait au départ il y avait une femme dans ce texte. "She"…
Mais nous nous étions mis d'accord pour dire que si l'on décidait de l'incarner, il s'agirait d'une vision très fugitive, en quelque sorte un fantôme (Obake en japonais) qui apparaîtrait dans les ruines du château et laisserait des traces sur son passage. 2
Ces traces, ce sont les Roses bien sûr.
Je n'ai donc pas procédé au montage de ce clip mais une fois rentré au Japon, je crois que c'est son staff qui a décidé pour lui qu'il fallait gommer l'image de la femme là dedans.
D'autant que s'il était venu en France tourner cela, il s'agissait d'une femme blanche et non pas d'une Japonaise.
Nous avions choisi, à sa demande, une fille assez pulpeuse pour incarner le personnage, elle avait une assez forte poitrine, c'était voulu.
Elle portait une robe rose de style XVII ème siècle et était maquillée très blanche comme un fantôme avec du rouge aux lèvres très foncé, presque noir.
Bref, dans le clip, elle n'apparaît pas et pourtant ce n'est pas moi qui l'ai inventé, je n'ai fait que décoder les désirs de Yoshiki présent sur le tournage lors des séquences avec la fille qui n'apparaissait qu'en contrechamp des plans de Yoshiki, jamais dans le même plan simultanément, laissant donc au monteur le soin de rythmer cela.
Elle apparaissait et disparaissait au détour d'un mur du château et même pouvait disparaître au travers des murs par une surimpression classique que j'avais tourné.
Bon mais voilà, sans doute que le retour à Tôkyô a été très différent et que Yoshiki a décidé de gommer cela du script, pour des raisons que je peux comprendre : trop loin de l'image qu'il voulait donner alors de lui-même.
N K : Vous le savez car vous avez vu mon site Internet concernant le tournage du clip, je suis à la recherche depuis plusieurs années de la fortification médiévale qui a servi pour les plans intérieurs, vous souvenez-vous de l’endroit où ont été filmées ces séquences ? 3
D D : Je ne suis pas parvenu à retrouver l'endroit exact sur une carte mais sans prendre de risques, je puis vous affirmer qu'il se trouve dans la périphérie de celui que vous avez parfaitement identifié, à savoir une ruine dans un village dans un périmètre de moins de 25 Km de cette petite ville que vous avez retrouvé…
N K : En dehors du clip de « Rose of Pain », avez-vous eu ultérieurement d’autres contacts avec Yoshiki ?
D D : La dernière fois que nous nous sommes vu avec Yoshiki remonte à 1995, à ce que je crois me souvenir.
Nous avions passé la soirée ensemble et il a répondu devant ma caméra à quelques questions plutôt informelles avant ou après un grand concert qu'il venait de faire dans le grand auditorium de NHK avec orchestre symphonique.
Malheureusement, je ne sais plus où est passée la K7 vidéo de cette interview qui, de toute façon, a été refusée à l'époque par toutes les télés françaises qui ignoraient, tout comme aujourd'hui, les artistes japonais.
Ici en France, on a l'impression que le phénomène et l'intérêt qui lui est accordé est nouveau mais je ne sais pas quelle est l'ampleur du mouvement et ce qu'il en est des fans de ce genre de musique.
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N K : Avez-vous eu l’opportunité de rencontrer les autres membres de X Japan alors que vous vous trouviez au Japon? |
* 1 : Le balcon de cet appartement est visible au début du clip. Cliquez ici.
* 2 : Vous pouvez voir la silouhette de la fille sur cette image. Cliquez ici.
* 3 : Depuis, j'ai réussi à trouver les sites. Cliquez ici.